désarroi
J’habite ici, répondit-elle, comme si la question était insolite.
Le choc me terrassa. L’île, mon île, n’était pas plus déserte
qu’elle ne m’appartenait ! Anne ressentit, plus qu’elle ne vit mon
désarroi. Mais ça, je ne le devinerai que beaucoup plus tard, quand
j’aurais appris à la connaître.
Bien loin de ce que j’aurais pu
m’imaginer, je sus plus tard qu’elle voyait un grand nombre de
touristes passer sur l’île chaque été. En général, ils ne s’avançaient
pas à l’intérieur et restaient bronzer ou pêcher sur les grèves.
Certains restaient quelques temps au mouillage dans cette crique où
j’avais amarré le catamaran. Et Anne, toujours très polie, leur disait
quelques mots sans jamais tenter de rentrer dans leur intimité,
préservant ainsi la sienne.
Cependant, entre nous, l’attirance fut immédiate. Fascinées par
notre singularité mutuelle, nous cherchâmes à prolonger ces instants de
découverte. Je lui proposai du thé, qu’elle accepta aussitôt avec sa
naturelle simplicité.
A peine remise de ma déception, que je
ressentis comme une trahison de la part de l’île, j’hésitais à relancer
la conversation. Mais je devinais qu’il fallait à tout prix accrocher
l’intérêt d’Anne. Du rôle d’intruse dans mon monde intérieur, elle
était devenue en quelques secondes une part de l’île. Une pièce
précieuse de la Porte Sacrée ouverte sur l’horizon.
J’allais dire une banalité, qui m’aurait sans doute fait souffrir plus tard, quand par chance, elle me devança à nouveau.
“Je n’habite pas vraiment ici, rectifia-t-elle, je n’y viens qu’en vacances pour me désennuyer de Paris.”