J'avais d'abord pensé à Rome
Je cherche parfois dans le passé
quelque groupe de souvenirs, pour m'en former enfin une histoire, mais je m'y
reconnais, et ma vie en déborde. Il me semble ne vivre aussitôt que dans un
toujours neuf instant. Ce que l'on appelle : se recueillir, m'est une
contrainte impossible; je ne comprends plus le mot : solitude; - D'ailleurs je
ne suis chez moi que partout; et toujours le désir m'en chasse. Le plus beau
souvenir ne m'apparaît que comme une épave du bonheur. La moindre goutte d'eau,
fût-ce une larme, dès qu'elle mouille ma main, me devient d'une plus précieuse
réalité.
Gide
J'avais
d'abord pensé prendre le train pour Rome. Quitter Paris et son gris qui
englobe. Rouler toute la nuit dans un wagon amer. Mêler ma perdition
aux ombres qui transitent. Relire « la modification » et l’abandonner
sur la banquette. Boire un mauvais café. Imaginer des vies dans le wagon-bar. J'avais
d'abord pensé à Rome.
Mais j'irai plus tard mettre mes pas dans
ceux de Michel-Ange. J'ai tellement lu sur lui qu'il me semble le
connaître personnellement. J'étais près de lui quand, tout jeune encore
et désireux d'être reconnu, il avait gravé son nom sur le bandeau de
Marie. Nous avons partagé le pain et le vin, perchés tout là-haut sur
l'échafaudage de la Sixtine. Nous avons pleuré ensemble quand Rome fut
saccagée. Je fixais la chandelle sur son front quand il se levait la
nuit pour écrire un sonnet …